Peut-on regretter d’être mère ?
Si aujourd’hui, les voix des femmes se libèrent et que de plus en plus, elles osent parler de charge mentale ou du choix de ne pas avoir d’enfants, il est encore difficile de les écouter sans les juger.
L’instinct maternel est inné, et le critiquer reviendrait à remettre en question le schéma sociétale dans lequel nous vivons. Si des femmes aiment leurs enfants au-delà des étoiles, parfois elles regrettent en même temps leur rôle de maman. Et cela, n’est pas contraire.
Être femme et devenir mère
Il suffit de s’assoir sur un banc d’un bac à sable entre 15 et 16 h de l’après-midi pour se rendre compte du panel de mères qui existent. Il y a les mamans heureuses et épanouies, les mamans parfaites qui ont toujours TOUT dans leur sac, les mamans qui se laissent aller, les mamans qui se pomponnent, les mamans fatiguées, les mamans qui crient, les mamans laxistes, les mamans débordées… bref, il y a autant de façon de vivre sa maternité qu’il n’y a d’enfants.
Pourtant, ne subsiste qu’un modèle en soit un peu périmé, celui de la femme au foyer qui gère. Cet avatar des années 50 a survécu sous une autre forme, remplacé par les influenceuses d’Instagram dont le corps ne semble rien porter des traces d’une grossesse, et dont le logement ressemble à une vitrine IKEA.
Mais est-ce là la réalité du quotidien que nous vivons ou éprouvons ?
En devenant mère, on peut perdre son statut de femme et on peut lui dresser un autel du regret.
Regretter son corps
On aura beau dire qu’un enfant est le plus beau cadeau au monde, il est fort probable que vous gardiez des marques à vie de ce cadeau.
Regretter sa garde-robe
Maintenant, il faut adapter ses vêtements pour courir après le petit ou la petite dans la rue, ou lorsqu’il débute la diversification alimentaire (attention au jetée de purée carotte-petit-pois) , ou si vous allaitez.
Regretter sa carrière
Parce que beaucoup de femmes sacrifient leur carrière au moment où elles tombent enceinte sans que cela ne soit vraiment discuté. Il est normal qu’un homme se demande s’il veut prendre son congé parental, alors qu’une femme devra le prendre. C’est ainsi.
Regretter ses collègues
Les premiers mois de la maternité se résument souvent à un isolement. On passe ses journées avec un bébé qui au mieux babille et au pire, crie. Beaucoup parle de ces mêmes journées infinies, sans avoir une vraie conversation d’adulte et surtout une conversation où il n’en va pas des enfants.
Regretter sa liberté
Avant, on allait boire un verre avec ses collègues, on allait au ciné, on faisait la grasse mat’. Avant, on vivait selon nos envies. Maintenant, il y a des plannings et surtout le sentiment que tout repose sur la mère. Elle sera le dernier pilier, celui sur lequel tout le monde s’appuie, au détriment de sa liberté personnelle.
Regretter son confort
Un enfant est une activité à temps plein. Revenue du travail, commence souvent la deuxième journée d’une femme entre les tâches ménagères et les enfants. Parfois, et malgré l’amour immense qu’elle porte à son enfant et lui donne des pouvoirs de super-héroïnes comme on le voit dans les films, une mère reste une femme qui en revenant du boulot peut avoir envie de ne s’occuper que d’elle, de se détendre, de prendre un livre et de s’étendre dans un bain. La réalité est souvent différente. On rentre du travail et pas une minute pour aller aux toilettes. C’est éreintant.
Un comportement anormal ?
Ne pas aimer être mère, oser le dire et le ressentir ne fait pas d’une personne un être égoïste ou anormal. Non, il n’y a pas de défaillances dans le système. Du jour au lendemain, il est question de s’occuper d’un être humain, et cela implique de nombreux compromis. Une femme devra s’ignorer pour répondre aux besoins d’un enfant et cela toute sa vie. Du jour au lendemain, elle a la charge énorme, la responsabilité d’une vie de famille qui lui incombe à elle.
C’est un choc. Un choc qui peut se révéler positif comme négatif et j’aime à penser que toutes les femmes ressentent ces moments de regrets comme de bonheur intenses. Il n’y a pas que tout l’un ou tout l’autre… mais les deux sentiments peuvent cohabiter et mettre une grosse pagaille dans la tête d’une femme.
De nature, nous ne sommes pas nées mères. Nous n’avons pas été préparées à ce ras de marée, ni aux hormones qui font la fête dans notre organisme, ni au fait d’être relayées au second plan. Au moment où le bébé vient de naître, le bien-être de la mère n’est pas le plus important.
Ce comportement n’est donc pas anormal, mais plutôt sensé. On parle de matrescence pour évoquer la naissance de la mère. Ce terme utilisé depuis les années 70 évoque le passage de l’état de femme à celui de jeune maman, à l’image de l’adolescence pendant laquelle le corps change, que les hormones dansent sur le fil du rasoir et que l’identité personnelle vient de changer.
Pourquoi est-ce un tabou ?
Le bonheur du foyer repose sur l’effort des femmes, et cela depuis plusieurs générations. Prédestinées à la maternité, beaucoup oublie qu’une caractéristique biologique n’est pas le garant d’un rôle voulu.
Et, il est vrai qu’un enfant demande des concessions. Tout est prévu à l’avance, les projets personnels et professionnels sont mis de côté. Certaines ne ressentent pas le manque de leurs enfants quand ils ne sont pas là.
La pression familiale ou conjugale peut avoir fait pencher la balance en ce sens quand aux repas de famille, les jeunes filles entendent « alors c’est pour quand ? ». Cela fait partie des choses de la vie, de la continuité naturelle de l’existence, du maintien de l’ordre moral. « Tic-Tac, l’horloge tourne et tu risques de le regretter plus tard, le regret de ne pas avoir eu d’enfant. »
Le problème reste sans doute l’isolation de ces mères qui doivent gérer un enfant et n’arrive plus à comprendre ce qui leur tombe dessus. Quand elles osent en parler, reviennent des phrases comme « personne n’a dit qu’éduquer un enfant était facile. Maintenant, tu n’as plus le choix » (souvent prononcé par ses propres parents ou ses beaux-parents).
Il n’y a pas toujours de solidarité entre les mères d’hier ou d’aujourd’hui, et le sentiment d’abandon peut être grand.
Le besoin qui se fait sentir, l’urgence même, est de libérer la parole de ces femmes qui ne voulaient pas, ne savaient et regrettent. Il faut savoir qu’un enfant change la vie et cela de mille façons.
Une solution en perspective ?
Il faut émanciper la parole des femmes. Il faut qu’elles se réapproprient leur corps, leur sentiment et leur décision. Facile à dire quand la culture est encore un poids qui influence nos vies plus que toute autre composante.
À cela, s’ajoute aussi la non-parité des rôles, qui désengagent les hommes. Loin de nous l’idée de les juger, mais un homme qui regrette ou qui part sera moins sermonné qu’une femme. Un allongement du congé paternité et surtout une obligation de le prendre changerait sans doute la donne.
Proposer des lieux de rencontres pour les mères en détresse, accessibles et gratuits pour qu’elles puissent se décharger de leur obligation.
Détruire l’image de la mère parfaite qui circule sur les réseaux sociaux, dans les films, dans la littérature, bref dans la culture permettrait de réduire la pression qui pèse sur les épaules des mamans.
Laure Zehnacker
Jeune maman d'un petit bonhomme, je vis en Allemagne depuis maintenant presque dix ans.